-A quoi penses-tu?
-A tourner. A ma roue. A ce que je fais depuis des années. C'est rassurant au possible. Toujours les mêmes choses à vivre, les mêmes gens à voir, les mêmes livres à lire, les mêmes programmes télés à la même heure tous les jours. Tu t'endors et quand tu te réveilles, tu recommences à tourner. Et toi? A quoi penses-tu?
-A la fin de mon tournis. J'avais fini par avoir mal à la tête à tourner comme ça. La preuve, je suis encore un peu faiblard sur mes jambes mais je pense les avoir posées en dehors de la roue. Ça change, c'est fou le bien que ça fait d'ailleurs. Ne plus regarder le monde avec les mêmes yeux et les mêmes pensées que d'habitude.
-Tu es fou? Tu veux changer? Pourquoi? Notre destinée de hamster c'est de tourner dans notre roue, de penser aux gens qu'on connaît. A qui penses-tu toi par exemple en ce moment?
-A qui?Je ne sais pas. A celui ou celle que je ne connais pas encore et qui va m'apprendre quelque chose que je ne connaissais pas. Au prochain livre que je vais ouvrir et aimer. Au prochain film qui va m'émouvoir ou tout simplement me faire rire. A cette musique que je n'écoute pas habituellement et qui va me plaire, si ça se trouve. Regarde, depuis que je suis enfant, je suis sûre de ne pas aimer le boudin blanc. En fait, je n'en avais jamais mangé! Faut-il être idiot pour ne pas aimé quelque chose qu'on n'a jamais goûté! Le jour de Noël, bing! Du boudin blanc dans l'assiette. J'ai voulu tester, c'est très bon; Je ne dis pas que j'en mangerai tous les jours mais j'ai apprécié et surmonté le dégoût que j'en avais. On note "progrès" dans un petit cahier.
-C'est risqué, non?
-Oui, (quoique le risque reste limité en avalant un morceau de boudin blanc) mais rien ne se serait fait sans le risque, sans des gens qui ont osé prendre le risque, de... je ne sais pas moi... traverser l'océan en bâteau et découvrir les hamburgers, les jeans Levis et le rap. Un jour l'homme a même été assez fou pour prendre une fusée et aller marcher sur la lune. N'oublie jamais cette phrase de Mark Twain:"ils ne savaient pas que c'était impossible alors ils l'ont fait". On ne sait jamais si c'est possible ou pas, si on y arrivera ou pas mais mais si on n'essaie pas... On en revient à mon affaire de boudins!
-Et si tu sors de la roue? Tu vas y trouver quoi?
-Justement, je n'en sais rien. C'est ça qui est flippant et attirant à la fois.La première fois que tu vas à l'école, t'as la trouille, tu ne sais pas ce qui va t'arriver et puis tu t'habitues (enfin dans presque toutes les matières!). Ton premier pas, tu te pètes la gueule forcément. Tout le monde se fout de toi mais c'est pas grave, tu continues, tu recommence et un jour tout le monde t'applaudit parce que tu sais marcher.
-Oui et c'est à partir de ce moment-là que tu commences à tourner dans la roue.
-C'est vrai, au début, tu es obligé d'être guidé mais rien ne t'oblige à tourner dans le même sens que les autres, déjà et ça c'est un premier pas. Ensuite, ils vont te forcer la main, à t'expliquer que c'est leur sens qui est le bon. C'est là qu'il faut commencer à se révolter. Qui te dit que ce tour de roue qu'on t'oblige à faire est bon pour toi? Si tu partais dans l'autre sens c'est qu'il y avait une raison non? A toi de te demander pourquoi tu voulais aller dans le sens inverse. La réponse n'est pas dans ceux qui tournent toujours de la même façon mais elle est en toi. Enfin, je te dis ça moi je débute comme hamster libre.
-Comment tu te sens? Vraiment libre?
-Non, pas encore. Plus apaisée oui sans doute parce que pour la première fois depuis longtemps j'ai écouté mon corps qui était fatigué. Parce que tourner comme ça tout le temps dans une roue, c'est épuisant. Aussi bien pour l'esprit que pour le corps et je vais te dire ça l'est même pour le coeur. Tu finis par ne plus t'aimer. Et si tu ne t'aimes plus, comment veux-tu aimer les autres? Les aimer convenablement, les guider sur leur propre chemin, leur sentier à eux.
-Tu ne me dis pas comment tu vas... A quoi tu penses le matin? Qui hante tes pensées? Ce que tu vas faire de ta liberté? Qui te dit que tu ne vas pas retourner dans la roue parce qu'elle est rassurante?
-Je ne te dis pas comment je vais parce que je ne peux pas emttre de mots sur mes sensations. J'ai des grands moments de lourdeur et de fatigue indiscible mais comme j'ai enfin un peu le temps, je m'allonge et je dors. Le matin? Je me dis que je suis en vie, je savoure ma douche comme si c'était non pas la dernière mais la première de ma vie. Qui hante mes pensées? Moi! Pour la première fois depuis longtemps aussi. Bien sûr, j'ai mes amis, j'ai une vie mais en ce moment c'est moi qui compte le plus. Trouver la force tous les jours de m'éloigner de la roue demande des efforts, épuisants parfois même si c'est juste en discutant une heure avec une copine ou lire un auteur qu'il ne me serait jamais venu en tête de lire si on ne me l'avait pas offert. Ce que je vais faire de cette liberté? je n'en sais rien. Je l'apprivoise à peine alors nous verrons bien si nous sommes compatibles. S'il s'avère que non, c'est juste que ce n'était ps la bonne liberté pour moi. J'en trouverai d'autres! Il y en a des millliards de liberté différentes. Je ne dis pas que je ne retournerai pas dans la roue de temps à autres, mais ce sera pour te faire un coucou pas plus et je retrouverai mon sentier, mon chemin, ma liberté. Tu sais, finalement, je ne suis pas sûre que ce soit vraiment le but ultime du hamster de tourner toujours dans une roue....