Dix ans à nouveau

Hier soir, j'ai fait à bicyclette le kilomètre qui sépare la maison familiale de l'hôtel où certains d'entre nous logeaient. J'avais enterré ma grand-mère l'après-midi et sur sa "petite reine"  j'ai franchi ce kilomètre. Ma soeur suivait derrière en voiture histoire de m'éclairer la route. Ce matin, réveillée tôt, j'ai récupéré le vélo que j'avais bien attaché à une grille. Une légère brume, un peu de fraîcheur, des gouttelettes de rosée et sur mon vélo (enfin celui de ma grand-mère), le lecteur MP3 à fond dans les oreilles, j'avais dix ans!

Cette allée, j'ai dû la parcourir des centaines de fois, à pied comme à bicyclette! Il n'est pas un trou, un obstacle que je ne connaisse par coeur. Je sais où ralentir pour éviter de me vautrer lamentablement, où accélérer pour sentir exactement comme je le veux le vent sur mes joues. J'ai enlevé les pieds des pédales, comme avant. Parce que c'était bon, que j'étais seule, une larme a roulé sur ma joue. Dernier adieu à ma grand-mère? Un trop plein d'émotion qui n'était pas sorti la veille (pourtant j'en ai usé des mouchoirs!)? Ou tout simplement, ma vitesse comparable à celle d'un Virenque shooté à mort gravissant le Tourmalet en cinq minutes (Nan, je n'exagère pas!). Arrivée à la hauteur du petit bois, c'était plus fort que moi, j'ai fait demi-tour! Après tout, le petit déjeuner familal pouvait bien attendre un peu! Retour au début de l'allée, en danseuse, j'ai pris tous les trous en riant comme une gosse. Tous les sentiments se disputaient en moi. De la joie la plus primale à un profond désespoir à l'idée de ne plus revoir ma grand-mère. J'étais bien. Allez! On lâche le guidon pour voir si on sait faire encore (fortement déconseillé sur un Vélib'! Trop lourd!). Une nouvelle petite pointe avant le bois, le gros trou? Allez, on roule dedans! Y a encore un peu d'eau! tant mieux! Ca éclabousse un peu... M'en fous, j'ai un jean!

Rapidement (ben oui, un kilomètre c'est court), je suis arrivée en vue de la maison. Je devais avoir les joues toutes rouges de l'enfant qui a trop joué. Un coup rapide dans les cheveux pour reprendre à peu près forme humaine, une pause de quelques secondes histoire de reprendre mon souffle, la fonction miroir de mon portable a servi pour la première fois. Quelle drôle d'impression: j'y ai vu une enfant de dix ans qui achevait une course avec ses cousins et qui allait retrouver la maison pour le goûter préparé par sa grand-mère. J'ai repris sur moi, remercié intensément ma grand-mère qui m'a donné la possibilité de ce léger pétage de plomb matinal. Je lui en ai voulu d'être partie mais la sachant apaisée et sereine (enfin), j'ai pardonné...

Je suis arrivée toute tranquille dans la cour et ai souri à la réflexion de ma tante "tiens, voici une Charly bien matinale". Je l'ai embrassée, rangé la bicyclette dans l'écurie et lancé un dernier clin d'oeil au ciel. Merci Grand-Mamie! Je recommencerai la prochaine fois...

J'ai eu dix ans à nouveau... Et à 39 ans, c'est un cadeau magique!