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une vie normale ou presque...
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18 mars 2013

une surveillante... ben... ça surveille!

Ils sont arrivés les petits chéris, la tête un peu basse, l'oeil angoissé, encore pleins de sommeil. Prévenus hier soir (!) de la tenue d'un bac blanc ce matin, ils ont courageusement fait une croix sur leur grasse matinée du lundi et sur leur venue à 10 heures au lycée! Aujourd'hui, ça ne rigole pas: on a bac blanc de français. Un prof absent et je retrouve les fondamentaux de mon boulot: je surveille!

On a expliqué comment remplir le cadre  de cette merveilleuse administration qu'est l'Education Nationale (noms, prénoms...); les sujets sont distribués et c'est parti pour deux heures et demi!

Deux textes à étudier, une chanson de Ferrat (sans doute choisie par le communiste local!) et la dernière page de "la Peste" de Camus. De Ferrat, je n'aime que les poèmes d'Aragon et chez Camus, ma préférence a toujours été à "L'étranger". Je me rappelle soudain mon angoisse lorsque le jour du bac, j'ai découvert avec horreur que le texte proposé était sorti du "Père Goriot" (ou autre noir écrit de ce Balzac à qui je vouais une détestation sans bornes!). Que n'avais-je passé mon année à apprendre presque par coeur des lignes entières de Chateaubriand, Hugo, Baudelaire ou Verlaine pour me retrouver face à mon ennemi!

Une demi-heure de surveillance déjà. Ils sont en face de moi, lisant et relisant sans fin les vers de Ferrat qu'ils finiront par connaître par coeur à la fin de l'épreuve. On n'entend que tourner les pages, quelques soupirs parfois, résignés sans doute. Chose étrange, ils font peu de cas des feuilles de brouillon! Directement au propre!

Nouveau flash-back vers mes propres épreuves de bac, il y a vingt ans déjà, je me revois noircissant des pages entières de brouillons, les numérotant soigneusement au début puis finissant par jeter les idées par-ci, par là, comme elles venaient!

A voir leurs têtes, Ferrat, pas plus que Camus ne les inspire beaucoup. Ils regardent ailleurs, lèvent les yeux au ciel puis replongent de plus belle sur leurs copies. Dans la cour, on entend les oiseaux chanter, ils ne se déconcentrent pas, ils subissent les affronts du bac comme tant d'autres avant eux et sans doute comme beaucoup après (à moins d'une énième réforme réforme de l'Education Nationale, l'Ultime, celle qui, brisant le plus formidable des tabous, supprimera le bac!). Une élève a déjà fini et s'endort doucement, la tête entre ses mains. Après tout, ce n'est pas une si mauvaise idée, jamais leur classe n'a été si silencieuse, autant en profiter!

La tête me tourne un peu, absence de petit déjeuner oblige! Des souvenirs en vrac qui reviennent, est-il possible qu'il se soit écoulé déjà vingt ans de ma vie? Des réflexions idiotes m'assaillent. Autrefois, quand on entendait le bruit de talons dans un couloir du lycée c'était une professeur, plus maintenant. Et même plus rarement, les enseignantes sont plus volontiers en chaussures plates (pour s'échapper plus vite???) Tiens, moi aussi, je commence à connaître par coeur les vers de Ferrat. Peut-on tricher à une épreuve de français? La chose semble difficile, pas de formules, pas de dates à connaître par coeur, sinon à maîtriser quand même les grands courants littéraires.

Je sens subitement mon âme vide, sans attaches! Je n'ai plus de grand amour à qui écrire pendant des heures qu'il ou elle me manque! Qu'y a-t-il de plus ennuyeux? Ne pas aimer ou ne pas être aimée? Je pencherais volontiers pour le premier. Comme un désir fulgurant de changer d'horizon, de rencontrer d'autres gens, d'autres têtes...

Une heure de surveillance, ils sont trois à avoir fini et à râler parce qu'ils ne peuvent pas sortir (pour les conditions du bac, on repassera!). Les autres ont l'air de découvrir enfin leurs brouillons. je regarde goguenarde les feuilles supplémentaires et gage d'avance qu'on ne m'en demandera pas! Pauvre forêt amazonienne!

Il ne reste que quatre élèves dans la classe. Certains inspirés, d'autres commencent à regarder leurs montres et accélèrent le rythme de leur écriture, l'angoisse de la dernière heure.

Je jette un oeil aux copies rendues, c'est drôle, je n'aurais pas commencé comme ça. D'un autre côté, ils peuvent s'appuyer sur les questions de l'énoncé. Un peu dommage de ne pas pouvoir laisser libre court à son inspiration, non? A force d'être par trop bridée, l'imagination finira par se faire la malle!

Mon esprit  nouveau s'envole vers les années passées et qui furent de loin les plus belles de ma vie. Après tout, j'y ai appris à aimer et découvrir la littérature, passant des nuits fièvreuses dans les pages de mes livres de prédilection. Quelle émotion le jour où j'ai lu mon premier poème de Baudelaire! On passait dans la cour des grands! Finies les fables de La Fontaine et ses associations d'animaux qui m'ont toujours laissé coites ("le rat et l'huître', non mais j'vous demande!!!)...

Une demi-heure avant la fin officielle de l'épreuve, il n'y a plus d'élèves dans la salle. Dubitative, je range mes affaires, prépare la classe pour l'épreuve de cet après-midi et en éteignant la lumière, tout au fond, il me semble avoir aperçu une petite blonde noircissant sa feuille... Il est onze heures, j'ai faim et je vois des fantômes...

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